janvier - 2015


AUTEUR : FRANÇOIS VIGNALOU

Accélérateurs de startups et réductions d’impôts pour les particuliers : des ajustements nécessaires

Les accélérateurs de startups peuvent être exclus des réductions d’impôts en faveur de l’investissement dans les PME lorsque, en plus de leur activité d’incubation, ils prennent des participations dans les startups accompagnées. Néanmoins, des solutions existent afin de permettre aux particuliers qui investissent dans des PME éligibles par l’intermédiaire d’un accélérateur de startups de bénéficier des mécanismes incitatifs.

En matière de financement des PME, on sait que l’Etat offre aux contribuables des incitations à l’investissement sous forme d’une réduction : (i) soit de leur impôt sur le revenu (IR), à hauteur de 18 % de l’investissement réalisé retenu dans la limite de 50 000 € ou 100 000 € pour les contribuables soumis à imposition commune (avantage fiscal maximum de 9 000 € ou 18 000 € par an)[1] ; (ii) soit de leur impôt de solidarité sur la fortune (ISF), à hauteur de 50 % de l’investissement réalisé retenu dans la limite de 90 000 € (avantage fiscal maximum de 45 000 € par an) [2].

Toutefois, tant sous la contrainte budgétaire qu’en réaction à des abus réels ou supposés des contribuables, le législateur a subordonné l’application de ces réductions d’IR et d’ISF à des conditions drastiques, qui ont pour effet, dans la plupart des cas, d’exclure les accélérateurs de startups.

Des conditions d’application des réductions d’impôts peu compatibles avec l’économie des accélérateurs de startups

Généralement, les accélérateurs de startups d’initiative privée ont un business model qui repose sur deux piliers financiers : d’une part, le règlement d’une cotisation par les startups accompagnées, en contrepartie de la mise en relation avec des « mentors » experts juridiques, financiers, techniques, etc., et des entrepreneurs chevronnés, qui prodiguent des conseils ; et, d’autre part, la prise de participations dans ces jeunes pousses, souvent sous forme d’options donnant droit un pourcentage du capital en cas de levée de fonds ultérieure. Ces prises de participations ont pour objet de permettre à la société accompagnée de se financer pendant la phase d’accélération, et à l’accélérateur de réaliser une plus-value lors de la cession éventuelle de celle-ci ou de son introduction en bourse.

Pour se financer, les accélérateurs lèvent des fonds auprès de business angels, particuliers et entreprises, qui sont affectés au financement de ces deux activités d’accompagnement et de holding des startups accompagnées.

S’agissant des fonds levés auprès des particuliers, la question se pose de savoir si ces investissements peuvent bénéficier des réductions d’IR et d’ISF.

En principe, pour qu’un investissement soit éligible aux réductions d’impôts, il faut : (i) soit que la société qui reçoit les fonds exerce « exclusivement » une activité opérationnelle, à l’exclusion de toute activité de prise de participation ; (ii) soit que l’investissement soit réalisé dans un fonds éligible (fonds commun de placement dans l’innovation ou fonds d’investissement de proximité) qui, par définition, ne fournit pas de prestations d’accompagnement.

A première vue, cette règle légale devrait avoir pour effet d’exclure les accélérateurs des mécanismes incitatifs, en raison de leur activité hybride.

Pourtant, des marges de manœuvres existent

Des solutions existent afin de permettre aux particuliers qui investissent dans des startups éligibles par l’intermédiaire d’un accélérateur de bénéficier néanmoins des avantages fiscaux.

On pense d’abord à l’accélérateur qui exerce une activité de « holding animatrice » des sociétés accompagnées, assimilée par la loi à une activité opérationnelle. Une holding animatrice s’entend d’une société qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations (activité financière non éligible), participe activement à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales et rend, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers. Toutefois, ce schéma n’est envisageable que dans le cas où l’accélérateur « contrôle » les sociétés accompagnées (c’est le cas des incubateurs de type Rocket Internet – incubateur allemand spécialisé dans le développement en interne de plateformes internet, en vue de leur revente ultérieure). En revanche, il n’est pas possible dans le cas, le plus fréquent en pratique, ou l’investissement est réalisé sous la forme d’options ou de prises de participations minoritaires (généralement 5 % à 10 %), ce qui exclut toute situation de contrôle.

Une autre hypothèse est celle où l’activité de holding est exercée par l’accélérateur parce qu’elle constitue le prolongement nécessaire et accessoire de son activité principale de mentor des startups. Par dérogation à la loi, l’administration fiscale admet en effet, pour l’application de la réduction ISF uniquement, qu’une société opérationnelle puisse exercer une activité non qualifiante pour la réduction d’impôt, lorsque celle-ci présente le caractère d’un complément nécessaire et accessoire à l’activité principale, c’est-à-dire lorsque les trois conditions suivantes sont cumulativement réunies : identité de clientèle ; prépondérance de l’activité éligible en termes de chiffre d’affaires ; nécessité d’exercer l’activité non éligible pour des raisons techniques et/ou commerciales [3].

Pour illustrer ces conditions, on peut, à notre avis, se rapprocher de ce qui a été développé par la jurisprudence pour l’application du régime des entreprises nouvelles [4]. Il est ainsi exigé que l’encours des titres de participations soit comparé au chiffre d’affaires de la société pour apprécier le caractère accessoire de l’activité de holdin g[5]. De même, le juge de l’impôt considère que le caractère indissociable d’une activité de prise de participations doit être apprécié au regard de  synergies éventuelles entre l’activité de la filiale et celle de la mère [6]. En application de cette jurisprudence, à la supposer transposable à la réduction ISF [7] , l’activité de prise de participations des accélérateurs devrait pouvoir dans certains cas être qualifiée d’accessoire et indissociable, lorsqu’il existe une complémentarité entre l’activité de l’accélérateur et celle des startups (cas des incubateurs d’entreprise par exemple – une entreprise anime un réseau de startups intervenant dans un secteur complémentaire au sien, en vue d’améliorer sa compétitivité).

Une dernière piste consiste à dissocier juridiquement les activités d’accompagnement et de prise de participations de l’accélérateur : les investissements sont réalisés par les business angels dans une holding qui réinvestit, d’une part, dans l’accélérateur (dont l’activité est dans ce cas limitée aux seules prestations d’accompagnement, activité opérationnelle éligible aux réductions d’impôts) et, d’autre part, dans des startups également éligibles. Le législateur admet en effet que les investissements puissent être réalisés par l’intermédiaire d’une « holding passive », définie comme une société ayant pour « objet exclusif » de détenir des participations au capital de PME éligibles (dans la limite d’un seul niveau d’interposition). Le fait générateur des réductions d’impôts est alors constitué par le réinvestissement réalisé par la société holding.

Dans tous les cas, ces schémas nécessitent de vérifier de manière systématique si les startups accompagnées sont bien éligibles aux réductions d’impôts, et le restent dans la durée, les marges de manœuvres en matière d’investissements étant très réduites. En outre, le réinvestissement dans les startups doit être rémunéré, dès l’origine, en titres de capital, ce qui exclut tout recours à des mécanismes d’option, appréciés en pratique pour leur flexibilité. Pour les projets non viables, les actions souscrites par la holding pourront être annulées, sans que l’avantage fiscal appliqué au niveau des business angels ne soit remis en cause, en cas de réduction de capital par imputation des pertes ou de liquidation judiciaire de la startup accompagnée.

Au total, dans le cas particulier des accélérateurs de startups, il existe un conflit évident entre l’objet des réductions d’impôts, qui est de favoriser le développement des PME, et la mesure anti-abus qui consiste à exclure les sociétés de portefeuille. Les accélérateurs, qui ont pour objet même le développement des PME, sont en principe exclus des réductions d’impôts, parce qu’ils ont recours pour ce faire à des procédés de gestion de portefeuille. Une prise de position favorable du législateur sur ce sujet serait fortement souhaitable, afin de ne pas décourager la création d’entreprises en France.


[1]              Article 199 terdecies-0 A du Code général des impôts (CGI).

[2]              Article 885-0 V bis du CGI.

[3]              BOI-PAT-40-30-40-20 n° 170, 5 juin 2014.

[4]              Article 44 sexies du CGI.

[5]              CE 9 juillet 2003, n° 230999, SA Soprofi.

[6]              CE 7 juillet 2006, n° 277455, Lemathieu.

[7]              Cf. en ce sens : Martial Chadefaux, L’exercice d’une activité industrielle et commerciale et la théorie du complément indissociable, Droit fiscal n° 35, 2 septembre 2010, §438.


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