janvier - 2012


AUTEUR : ANNE-LAURE-HÉLÈNE DES YLOUSES ET ANNE-SOLÈNE GAY

L'Autorité de la concurrence définit les règles applicables aux interventions des collectivités territoriales souhaitant intervenir dans le déploiement de réseaux très haut débit

L’Autorité de la concurrence a été saisie par le Sénat, le 8 septembre 2011, d'une demande d'avis sur les questions de concurrence que soulève l’intervention des collectivités territoriales dans le déploiement de réseaux très haut débit.

Cette saisine s'est inscrite dans le cadre du Programme National Très Haut Débit, lancé par le Gouvernement afin de favoriser le déploiement de réseaux très haut débit, notamment en fibre optique, sur l’ensemble du territoire.

L’objectif de cette demande du Sénat était de permettre à l’Autorité de la concurrence de rappeler les règles de concurrence européennes et nationales applicables aux interventions publiques en matière de déploiement des réseaux très haut débit au travers de projets intégrés.

Bruno Lasserre, Président de l’Autorité de la concurrence, est venu présenter devant le Sénat la position adoptée par l’Autorité de la concurrence dans cet avis à l’occasion d’une audition publique organisée par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire le 18 janvier 2012.

Deux thèmes sont plus particulièrement abordés dans cet avis : la compatibilité des aides au déploiement des réseaux très haut débit avec le régime communautaire des aides d’Etat et les risques de distorsion de concurrence dans la mise en place des réseaux d’initiative publique très haut débit.


La compatibilité des aides au déploiement des réseaux très haut débit avec le régime communautaire des aides d’Etat

Le Sénat souhaitait savoir s’il était possible, pour des collectivités territoriales, au regard du régime communautaire des aides d'Etat, de subventionner des projets « intégrés », c’est-à-dire portant à la fois sur des zones rentables et non rentables et quelles seraient, le cas échéant, les solutions alternatives envisageables.

L’Autorité de la concurrence estime que l’investissement des collectivités territoriales dans le cadre de projets intégrés n’est pas adapté à la réglementation communautaire relative aux aides d’Etat. En effet, une aide publique dont l’objectif serait de subventionner le déploiement d’une infrastructure dans une zone peu équipée, et donc non-rentable, serait compatible ; en revanche, une aide publique dont l’objectif serait de subventionner le déploiement d’une infrastructure dans une zone dense, serait automatiquement incompatible. Or, le propre des projets intégrés est de porter à la fois sur les zones rentables et non-rentables. De tels projets intégrés ne sont donc pas envisageables au regard des contraintes posées par la réglementation communautaire en matière d’aides d’Etat.

L’Autorité de la concurrence relève toutefois que le régime des services d’intérêt économique général (ci-après « SIEG ») offre aux collectivités territoriales de larges possibilités d’intervention, même si le choix de ce régime oblige au respect de conditions strictes :

  • la puissance publique doit justifier son choix de qualifier un service de SIEG et démontrer que l’initiative privée ne serait pas en mesure d’assurer le même service, qui doit être un service universel et obligatoire sur tout le territoire ;
  • dans la mesure où le réseau est financé par des ressources publiques, celui-ci doit être mis à disposition de l’ensemble des opérateurs intéressés, qui doivent disposer d’une autorisation d’accès au réseau ; par conséquent, le fournisseur du SIEG ne peut disposer d’aucun droit exclusif ou spécial ;
  • la péréquation financière effectuée par l’opérateur en charge du SIEG entre les zones rentables et non-rentables ne doit concerner que les coûts liés à l’infrastructure ; en outre, afin d’éviter toute distorsion de concurrence, l’opérateur ne peut en aucun cas utiliser les ressources dont il dispose pour les zones non-rentables afin de concurrencer les autres opérateurs sur les zones rentables.


Les risques de distorsion de concurrence dans la mise en place des réseaux d’initiative publique très haut débit

L’Autorité de la concurrence rappelle que les collectivités territoriales ont vocation à prendre une part croissante dans le déploiement du très haut débit, impliquant la nécessité de les prévenir contre les risques de distorsion de concurrence susceptibles d’apparaître lors des appels d’offres qui pourront être lancés dans cette perspective.

L’Autorité de la concurrence relève, à ce titre, que les opérateurs ne sont pas en situation de parfaite égalité. Il existe en effet deux types d’acteurs susceptibles de répondre aux appels d’offres pour l'établissement et l'exploitation des réseaux publics :

  • les pure players, qui interviennent uniquement sur le marché de gros, au travers d'offres d'accès aux réseaux publics dont ils ont la charge et dont les clients sont les fournisseurs d'accès à internet présents sur le marché de détail ;

  • les opérateurs verticalement intégrés, principalement Orange et SFR, qui, en plus de servir le marché de gros au travers d’offres d’accès aux réseaux publics, exercent une activité de fournisseur d’accès à internet sur le marché de détail.


L’Autorité de la concurrence rappelle les difficultés rencontrées par certains pure players pour répondre à des appels d’offres, découlant du fait qu’ils ont pour principaux clients potentiels les opérateurs intégrés, qui sont également leurs concurrents dans le cadre des appels d’offres publics.

L’Autorité de la concurrence identifie deux avantages dont disposent les opérateurs intégrés du fait de cette situation :  

  • un avantage commercial : l’opérateur intégré peut, en tant que fournisseur d’accès à internet, s'engager à être client du réseau public s'il remporte l'appel d'offres ;
  • un avantage technique : l’opérateur intégré peut, en en tant que client potentiel des réseaux publics, imposer des exigences techniques aux fournisseurs d’accès à internet qu’il serait le seul à pouvoir satisfaire.


Cette différence de situation entre ces deux types d’acteurs est susceptible de fausser la concurrence dans le cadre des procédures publiques. L’Autorité de la concurrence propose alors deux recommandations visant à limiter les avantages des opérateurs intégrés :

  • concernant l'avantage commercial : l'Autorité de la concurrence recommande que les opérateurs intégrés fournissent aux collectivités locales, lorsqu'ils ont l'intention de candidater à un appel d'offres, les conditions dans lesquelles ils seraient susceptibles d'utiliser le réseau public en tant que fournisseur d’accès à internet, dans une logique de transparence de la procédure à l’égard de tous les candidats ;

  • concernant l'avantage technique : l’Autorité de la concurrence préconise que des travaux de normalisation soient menés, avec la participation des opérateurs et sous l’égide de l’ARCEP, afin de garantir que les opérateurs intégrés ne soient plus les seuls à être en mesure de répondre aux exigences techniques déterminées par l’appel d’offres.


Tags:
ARCEP,concurrence,telecom,avantage commercial,avantage technique

Fichiers: Avis_12-A-02_du_17_janvier_2012.pdf