avril - 2014


AUTEUR : THIERRY LÉVY-MANNHEIM

Revirement de jurisprudence sur l'application de l'article 1843-4 du Code civil : Cour de Cassation, Chambre commerciale du 11 mars 2014 n°11-26915

L’arrêt du 11 mars 2014 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation porte sur l’application des dispositions de l’article 1843-4 du Code civil en cas de mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente d’actions contenue dans un pacte d’actionnaires.

En l’espèce, un pacte d’actionnaires stipulait que l’associé concerné, administrateur et directeur général, s’engageait par une promesse « ferme et irrévocable » de sa part de céder à la société une partie des actions lui appartenant pour leur valeur nominale, en cas de démission ou de révocation pour faute.

L’intéressé avait été révoqué pour faute grave par l’assemblée générale des actionnaires.

La société s’était ensuite prévalue de la promesse de vente contenue dans le pacte. Elle avait exigé l’exécution de cette promesse mais, à la suite du refus de l’ancien dirigeant de s'exécuter, elle avait consigné la somme correspondant au prix d’achat convenu.

L’ancien dirigeant contesta sa révocation, l’application de la clause de transfert de propriété des actions et le prix de cette cession forcée.

Il fonda son pourvoi sur l’application de l’article 1843-4 du Code civil pour contester le prix de cession des actions. Cet article dispose que :
« Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. »

La Cour d’appel de Grenoble trancha en faveur du requérant.

Selon cette décision, la valeur des actions doit être fixée à dire d’expert car cet article est d’ordre public et d’application générale en cas de cession ou de rachat forcé prévue par la loi ou les statuts, mais également par les pactes statutaire et extrastatutaires. 

En cela, la Cour d'appel de Grenoble s'est conformée à la position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation maintes fois réitérée, en dernier lieu par décision en date du 4 décembre 2012 (n°10-16.280).

Dans cet arrêt du 4 décembre 2012, le contexte était similaire et la Cour de cassation avait décidé à l’époque que l’auteur de la promesse pouvait se prévaloir des dispositions de l’article 1843-4 du Code civil malgré le fait que les parties n’avaient nullement prévu de désigner un tel expert.

Cependant, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est revenue sur sa position dans l'arrêt du 11 mars 2014.
Elle casse la décision de la Cour d’appel de Grenoble en décidant que : « Les dispositions du texte qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé. »

Même si ce revirement de jurisprudence conforte la position doctrinale dominante qui était opposée à la position de la Cour de cassation jusqu'à cette nouvelle décision, Monsieur le Professeur Alain COURET limite la portée de cet arrêt dans le temps en soulignant deux points.

Tout d’abord, l’article 1843-4 doit être prochainement modifié par une ordonnance qui serait décidée puis ratifiée fin 2014. Celle-ci peut régler toutes difficultés pour le futur en revenant à l’origine du texte et ainsi limiter l’application de cette jurisprudence.

Ensuite, il souligne le fait que l’arrêt ne donne pas d’informations sur le domaine exact d’intervention de l’expert en l’état actuel du droit et il pose les interrogations suivantes 1 :
« Librement consenti est-il synonyme de contractuel ? lorsqu’elle découle d’une disposition statutaire, la promesse est-elle encore librement consentie ? ».
Néanmoins d’après lui, la Cour de cassation s’est voulue imprécise quant au domaine d’intervention de l’expert à l’approche d’un nouveau texte qui viendrait « tempérer le rôle de l’expert de l’article 1843-4 du Code civil».

Il n'en demeure pas moins que cet arrêt doit avoir une large diffusion (il est mentionné FS P+B+R+I 2) et est constitutif d'un revirement de jurisprudence.
Ainsi, l'article 1843-4 du Code civil n'a pas vocation à s'appliquer à des accords purement contractuels, sauf à ce que son application ait été volontairement choisie par les parties.

1  « L’article 1843-4 du Code civil n’est pas applicable dans le cadre d’une promesse de vente unilatéralement consentie par un associé », Alain Couret, La Semaine Juridique Entreprises et Affaires n°13, 27 mars 2014, 1159, LexisNexis
2  - La lettre P signifie que l'arrêt sera publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (parution mensuelle) ;
- La lettre B signifie que l'arrêt sera mentionné au Bulletin d'information de la Cour de cassation (parution bimensuelle) ;
- La lettre R signifie que l'arrêt sera commenté dans le Rapport annuel de la Cour de cassation (parution annuelle) ;
- La lettre I signifie que l'arrêt sera diffusé sur le site Internet de la Cour de cassation.

 


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