AUTEUR : Thierry Lévy-Mannheim

Le nouveau cadre juridique des émissions obligataires : Ordonnance n°2017-970 du 10 mai 2017


Le régime juridique des émissions obligataires a longtemps été régi par la règlementation d’un décret-loi du 30 octobre 1935[1] sur la protection des obligataires, qui est resté inchangé hormis une réforme en 1966 par la loi relative aux sociétés commerciales[2]. Ce cadre juridique a connu un changement avec l’Ordonnance du 10 mai 2017[3], prise sur habilitation du Gouvernement et dont l’objectif est le développement des émissions obligataires, qui a instauré un régime plus souple pour les besoins de la pratique, devenant ainsi plus attractif à l’international.

Les nouvelles dispositions[4] sont entrées en vigueur le 12 mai 2017, étant précisé que certaines dispositions sont en attente du décret d’application du Conseil d’État qui va venir apporter des précisions quant à leur mise en œuvre.

Le décret d’application de l’Ordonnance est actuellement en cours d’examen au Conseil d’État.

  • La décision d’émettre des obligations

L’Ordonnance vient tout d’abord simplifier les prises de décisions pour émettre des obligations.

La décision de procéder à une émission d’obligations ne pouvait relever que du Conseil d’Administration, du Directoire ou du Directeur Général. L’article 3 de l’Ordonnance, modifiant l’article L.228-40 du Code de commerce prévoit qu’il est désormais possible pour le Conseil d’Administration ou le Directeur Général de déléguer ce pouvoir à toute personne de son choix, sans limitation.

La décision d’émettre des obligations pour les sociétés par actions est aussi facilitée. Les sociétés par actions décidant une émission et qui n’établissent pas « deux bilans régulièrement approuvés par les actionnaires », doivent vérifier la situation financière par un ou plusieurs commissaires. Ces commissaires sont désignés par l'organe de la société ayant le pouvoir de décider de l’émission, et non plus à l’unanimité des associés (ou à défaut par décision de justice) [5]. À l’inverse, les sociétés par actions qui établissent ces bilans, n’ont pas à faire vérifier leur situation financière.

  • Le représentant de la masse des obligataires

Le représentant de la masse des obligataires doit accomplir « tous les actes de gestion pour la défense des intérêts communs des obligataires ». Ce pouvoir peut désormais être délégué à un tiers sauf interdictions visées aux articles L. 228-49, L. 228-62 et L. 228-63 du Code de commerce[6].

  • La consultation de l’Assemblée Générale des obligataires

L’Assemblée Générale des obligataires doit désormais être consultée « sur toute proposition relative à l'émission d'obligations assorties d'une sûreté réelle ne bénéficiant pas aux obligataires composant la masse »[7]. Cependant, toutes les décisions ne requièrent pas obligatoirement l’approbation de l’Assemblée Générale des obligataires ; en effet si les propositions visées au 3° et 6° du I de l'article L. 228-65 du Code de commerce ne sont pas approuvées, la société émettrice peut passer outre[8].

  • La liberté du contrat d’émission sur les modalités de constitution et de fonctionnement de la masse des obligataires

L’Ordonnance réformant le régime de l’émission des obligations laisse une grande place à la liberté contractuelle. En effet, de plus en plus de modalités peuvent être librement définies dans le contrat d’émission qui vient en substitution ou complément des dispositions légales.

Actuellement, le quorum nécessite qu’au moins un cinquième des créanciers obligataires prennent part au vote ; la majorité quant à elle est au deux tiers des votants. En pratique cela pose des difficultés lorsque les obligataires ne se sentent pas concernés. L’article 20 de l’Ordonnance introduit au Code monétaire et financier un article L.213-6-3 qui prévoit que le contrat d’émission peut définir les règles de quorum et de majorité applicables aux Assemblées Générales des porteurs d’obligations.

Cette liberté contractuelle se retrouve aussi dans les modalités de prises de décisions des obligataires qui peuvent être faites par « consultation écrite, y compris par voie électronique, si le contrat d'émission le prévoit et selon les modalités de délai et de forme définies par celui-ci »[9].

Le contrat d’émission ou les statuts peuvent prévoir que les obligataires participant par visioconférence, ou autres moyens de télécommunication permettant l’identification, seront réputés présents pour le calcul du quorum et de la majorité[10].

De même, l’article L.228-59 du Code de commerce modifié par l’article 10 de l’Ordonnance prévoit que la convocation des assemblées générales d’obligataires peut différer des conditions de forme et délai des assemblées d’actionnaires si le contrat d’émission le prévoit.

Enfin, le contrat d’émission peut organiser librement la représentation des obligataires qui ne doivent plus être nommés dans un délai limité et dont le nombre n’est plus limité à trois[11].

  • La simplification des conditions de rachat, souscription et conservation

Les obligations ne donnant pas accès au capital émises par les établissements de crédit, entreprises d'investissement ou de sociétés de financement peuvent être souscrites ou acquises et conservées par ces mêmes émetteurs[12]. La nouveauté de cette disposition réside dans l’absence de limitation de volume des obligations pouvant être rachetées ou souscrites et conservées dans le but de favoriser la liquidité. Cependant, le décret d’application devra déterminer la durée maximale pendant laquelle les obligations pourront être conservées.

  • Les dispositions spécifiques aux obligations avec une valeur nominale élevée

Lors de l’émission d’obligations ayant une valeur nominale au moins égale à un montant fixé par le décret d’application du Conseil d’État, il est donné la possibilité à ces investisseurs qualifiés de choisir entre :

(i) soumettre leurs relations selon les dispositions du Code de commerce,

(ii) ou organiser leurs relations par des stipulations purement contractuelles.

En effet, le contrat d’émission peut prévoir « que tout ou partie des dispositions législatives et réglementaires relatives à la masse des obligataires, aux représentants de la masse et aux assemblées générales d'obligataires ne leur sont pas applicables »[13].

De plus, le contrat d’émission et tout autre document connexe, peuvent être rédigés dans la langue « autre que le français, usuelle en matière financière » ; sauf si l’émission constitue une offre au public[14].

Lorsque l’émetteur dans le cadre d’une opération de fusion, scission, réduction de capital non motivée par les pertes, ou de transfert de siège social d’une société européenne au sein d’un autre État membre, émet des obligations à valeur nominale élevée, le contrat d’émission peut décider d’écarter la constitution d’une masse d’obligataires. Dans ce cas, les obligataires ont les mêmes droits que les créanciers non obligataires et pourront exercer leurs droits d’opposition à l’opération[15]. Ils pourront désigner un mandataire, si le contrat d’émission l’autorise, en charge de les représenter si l’émetteur fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation. Cependant, la désignation du mandataire reste soumise aux interdictions prévues aux articles L. 228-49, L. 228-62, L. 228-63 du Code de commerce.

  • L’émission d’obligations assorties de sûretés réelles

L’émission d’obligations assorties de sûretés réelles est désormais simplifiée puisqu’elles peuvent être constituées avant ou concomitamment à l’émission par la société[16]. Avant cette réforme, elles ne pouvaient être constituées qu’avant ou après l’émission par la société. De plus, la constitution de sûretés n’a plus à être autorisée par l’organe social habilité par les statuts[17].

Depuis le 12 mai dernier, le représentant de la société n’a plus à constater dans un délai de 6 mois, à compter de l’ouverture de la souscription, le résultat de la souscription dans un acte authentique[18].

Une dernière liberté est donnée au contrat d’émission qui peut décider de définir les modalités de la mainlevée des inscriptions[19]. À défaut, ces modalités sont déterminées par le décret en Conseil d’État.


Il convient enfin de préciser, que le décret d’application du Conseil d’État doit venir préciser certaines modalités pour la mise en œuvre de certaines dispositions :

(i) Le contrat d’émission peut déterminer les conditions de forme et de délai de convocation des Assemblées Générales d’obligataires. Or, le décret d’application doit déterminer les mentions spéciales à faire figurer sur les avis de convocation, notamment lorsque la consultation est écrite il faut déterminer les garanties nécessaires à la bonne information des obligataires. 

(ii) Le montant de la valeur nominale pour l’émission d’obligations a valeur nominale élevée (ce montant devrait être fixé à 100.000 euros).

(iii) La durée maximale pendant laquelle les obligations pourront être conservées, suite à un rachat ou une souscription.

 


[1] Décret-loi du 30 octobre 1935 relatif à la protection des obligataires
[2] Loi n°66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales
[3]
Ordonnance n°2017-970 du 10 mai 2017, publiée le 11 mai 2017 au Journal officiel, prise sur habilitation par la Loi Sapin 2 du 9 déc. 2016 (n°2016-1691) art. 117
[4]
Art. L.228-38 à L.228-90 C.com, art. L.213-6-3 et L.213-0-1 CMF
[5] Art. L.228-39 C.com
[6] Art. L.228-53 C.com, modifié par l’art. 7 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[7] Art. L.228-65, I, 4° C.com, modifié par l’art. 12 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[8] Art. L.228-73 C.com, modifié par l’art. 13 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[9] Art. L.228-46-1 C.com, introduit par l’article 4 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[10] Art. L228-61 C.com, modifié par l’article 11 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[11] Art. L.228-47 et L.228-51 C.com, modifié par les articles 5 et 6 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[12] Art. L.213-0-1 CMF, introduit par l’article 19 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[13] Art. L.213-6-3 CMF, introduit par l’article 20 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[14] Art. L.213-6-3 CMF, introduit par l’article 20 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[15] Art. L.213-6-3 CMF, introduit par l’article 20 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[16] Art. L.228-77 C.com, modifié par l’article 14 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[17] Art. L.228-78 C.com, abrogé par l’article 15 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[18] Art. L.228-79 C.com, modifié par l’article 16 de l’Ordonnance du 10 mai 2017
[19] Art. L. 228-80 C.com, modifié par l’article 16 de l’Ordonnance du 10 mai 2017