Nouveaux éclaircissements sur la délégation de pouvoirs et la représentation au sein de la société par actions simplifiée

Septembre 2013

AUTEUR : Maître Thierry Lévy-Mannheim

Le pouvoir de représentation et la délégation de pouvoirs permettent tous deux à leur titulaire d’engager une société. Ils se distinguent toutefois par leur portée : le pouvoir de représentation est général, tandis que la délégation de pouvoirs est limitée à un domaine particulier. C’est cette différence de portée qui explique qu’ils obéissent à des régimes différents, celui du pouvoir de représentation étant naturellement plus strict.

La représentation et la délégation de pouvoirs au sein de la société par actions simplifiée sont au cœur de l’actualité du droit des sociétés.
Si la question de la représentation au sein d'une société par actions simplifiée semblait avoir été tranchée par la loi de sécurité financière du 1er août 2003, il demeurait toujours la question de savoir si les limitations de pouvoirs des directeurs généraux et des directeurs généraux délégués étaient ou non opposables aux tiers. Un arrêt rendu le 9 juillet 2013 par la chambre commerciale de la Cour de cassation est venu répondre à cette question, mettant fin aux controverses doctrinales sur le sujet.

Cet arrêt est l’occasion de revenir sur le régime juridique entourant, d’une part, la représentation (I), et d’autre part, la délégation de pouvoirs (II) au sein de la société par actions simplifiée.

I. La représentation au sein de la société par actions simplifiée


a) Les titulaires du pouvoir de représentation

Dans un arrêt rendu le 2 juillet 20021, la Chambre Commerciale de la Cour de cassation avait affirmé que la société par actions simplifiée ne pouvait être représentée que par son président. Ce faisant, elle distinguait clairement représentation et direction de la société : en effet, si les statuts peuvent librement créer des organes de direction (article L.227-5 du Code de commerce2), ils ne peuvent aménager la représentation de la société, qui incombait donc au seul Président.

Mais cette jurisprudence fut rapidement rendue caduque par la loi de sécurité financière du 1er août 2003, qui a inséré au sein de l’article L.227-6 du Code de commerce un nouvel alinéa selon lequel « Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le nom de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article ».
Désormais, peuvent donc représenter la société par actions simplifiée en toutes circonstances :

  • le président
  • et, si et seulement si les statuts le prévoient, des personnes portant le titre de directeur général ou directeur général délégué. Ils devront en outre être mentionnés sur l’extrait K-bis3.

Si le Président dispose donc toujours du pouvoir de représenter la société, ce n’est pas vrai pour les directeurs généraux et directeurs généraux délégués. La SAS peut tout à fait être dirigée par un Président et un directeur général mais n’être représentée que par son Président, faute de disposition statutaire prévoyant un pouvoir de représentation pour le directeur général.

De la même manière, on peut imaginer qu’une SAS soit dirigée par un Président et plusieurs directeurs généraux (délégués) mais qu’un seul des directeurs généraux (délégués) soit doté du pouvoir de représenter la société, alors même qu’ils portent tous le même titre. Ceci est source de confusion : il est donc plus prudent de vérifier sur l’extrait K-bis que le directeur général, délégué ou non, soit bien doté du pouvoir de représenter la société.

b) L’opposabilité aux tiers des limitations de pouvoirs

Malgré les précisions apportées par la loi du 1er août 2003, une question demeurait en suspens : l’alinéa 4 de l’article L.227-6, qui dispose que « les dispositions statutaires limitant les pouvoirs du président sont inopposables aux tiers », était-il transposable aux directeurs généraux et directeurs généraux délégués ?

Un arrêt rendu par la Chambre Commerciale de la Cour de cassation le 9 juillet 2013 4  semble y répondre par l’affirmative, confirmant ce qui était déjà pressenti par une partie de la doctrine.

Cette affaire opposait la société Newspring à la société Swiss Post Solutions, cette dernière venant aux droits de la société GBS Plus France. Newspring a assigné GBS en exécution d’un contrat conclu en janvier 2009 par le directeur général de la société GBS, étant précisé que celui-ci disposait d’un pouvoir de représentation prévu par les statuts. Ce contrat avait pour objet de déterminer la rémunération de la société Newspring en tant qu’apporteur d’affaires. Or, pour ce type de contrats, le directeur général avait reçu pour consigne d’attendre les instructions du repreneur, ce qu’il avait d’ailleurs indiqué à la société Newspring en juillet 2008. Le directeur général n’était donc pas habilité à conclure un tel contrat.

Pourtant, la Cour de cassation donne raison à la société Newspring : la société GBS est donc liée par le contrat conclu par son directeur général, quand bien même celui-ci n’aurait pas été habilité à conclure un tel contrat.

Il n’est pas précisé si cette limitation des pouvoirs du directeur général était ou non d’origine statutaire. Toutefois, la motivation de l’arrêt laisse penser que la solution est applicable aux limitations de pouvoir statutaires.
En effet, la Cour de cassation indique que les dispositions de l’article L.227-6 du Code de commerce doivent être interprétées « à la lumière de celles de l’article 10 de la directive 2009/101 du Parlement européen », qui dispose notamment que « les limitations aux pouvoirs des organes de la société qui résultent des statuts ou d’une décision des organes compétents sont inopposables aux tiers, même si elles sont publiées ».

Ce faisant, elle étend clairement les dispositions de l’article L.227-6 alinéa 4 aux directeurs généraux et aux directeurs généraux délégués d’une part, et semble les étendre à toutes les limitations de pouvoirs, même non statutaires, d’autre part. Ce dernier point demeure toutefois à confirmer.

Dès lors qu’ils sont dotés d’un pouvoir de représentation par les statuts et qu’ils figurent sur l’extrait K-bis, les directeurs généraux et les directeurs généraux délégués disposent donc des mêmes pouvoirs que le président. Tout acte conclu par l’un d’eux en violation d’une limitation de pouvoirs engagerait quand même la société.

Le seul cas dans lequel l’acte n’engagerait pas la société est le cas où il y aurait une violation de l’objet social assortie de la mauvaise foi du tiers cocontractant5 , ce qui est très difficile à prouver en pratique.

Le mandat de directeur général ou de directeur général délégué, lorsqu’il est assorti d’un pouvoir de représentation, devra donc être conféré avec la plus grande prudence.

c) Cas particulier : la représentation de la SAS présidée par une personne morale

La représentation de la SAS soulève une autre problématique lorsque celle-ci est présidée par une personne morale. Il s’agit en effet de savoir qui cette personne morale pourra désigner pour la représenter au sein de la SAS : son représentant légal ou un représentant permanent distinct ?

Cette question a fait l’objet d’un avis du Comité de coordination du Registre du Commerce et des Sociétés en date du 10 février 2009. Aux termes de cet avis, lorsque le président d’une société par actions simplifiée est une personne morale, cette personne morale est de droit représentée par son représentant légal au sein de la SAS : elle ne semble pas pouvoir désigner un autre représentant permanent pour l’y représenter.

En effet, la personne morale présidente de la SAS est identifiée uniquement par un extrait d’immatriculation comportant la dénomination, la forme juridique, l’adresse du siège, le lieu et le numéro d’immatriculation ; l’identité du dirigeant de cette personne morale n’est plus mentionnée depuis une réforme de 2005.
En conséquence, la personne morale qui préside une société par actions simplifiée est de plein droit représentée par son représentant légal au sein de celle-ci.

II. La délégation de pouvoirs au sein de la société par actions simplifiée


a) Les conditions de la délégation de pouvoirs

Avant l’intervention de la Cour de cassation dans deux arrêts en date du 19 novembre 2010, les juges du fond avaient posé des conditions très strictes à la validité des délégations de pouvoir consenties au sein d’une société par actions simplifiée6.

En effet, ceux-ci refusaient d’admettre la validité des délégations de pouvoir si celles-ci n’étaient pas mentionnées sur l’extrait K-bis ni autorisées par les statuts. Autrement dit, il était presque aussi compliqué de consentir une délégation de pouvoirs, pourtant limitée à un domaine particulier, qu’un pouvoir de représentation général de la société. Une telle solution avait notamment conduit à la remise en cause de plusieurs licenciements prononcés par un directeur des ressources humaines ou un chef de service dont la délégation de pouvoirs n’était pas autorisée dans les statuts et ne figurait pas sur l’extrait K-bis.

La Chambre Mixte de la Cour de cassation, composée de la deuxième Chambre Civile, de la Chambre Commerciale et de la Chambre Sociale, est venue censurer cette interprétation dans deux arrêts en date du 19 novembre 2010 7, affirmant que « si la société est représentée à l'égard des tiers par son président et, si les statuts le prévoient, par un directeur général ou un directeur général délégué dont la nomination est soumise à publicité, cette règle n'exclut pas la possibilité, pour ces représentants légaux, de déléguer le pouvoir d'effectuer des actes déterminés tel que celui d'engager ou de licencier les salariés de l'entreprise ».

La Cour de cassation distingue ainsi clairement la représentation légale et la représentation déléguée.

Si le représentant légal doit être identifié et faire l’objet d’une publicité, cette règle ne s’applique pas au titulaire d’une simple délégation de pouvoirs. La délégation conventionnelle est désormais un mode bien distinct et régulier de représentation de la société par actions simplifiée.

Cette solution est désormais acquise en jurisprudence, comme en témoignent plusieurs arrêts rendus postérieurement.

Le licenciement prononcé par le directeur des ressources humaines est donc tout à fait valable dès lors que celui-ci disposait bien d’une délégation de pouvoirs émanant d’un représentant légal de la société.

On remarquera que la Cour de cassation ne soumet cette délégation à aucune condition de forme, puisqu’elle admet dans les arrêts du 19 novembre 2010 qu’« aucune disposition n'exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit ; elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement ». Il en résulte que les délégations de pouvoirs en matière de licenciements peuvent être librement établies sans que celles-ci soient soumises à aucune condition de forme ni de publicité.
En principe, la société n’est pas tenue par les actes du délégataire qui a outrepassé ses pouvoirs. Pourtant, dans les deux arrêts du 19 novembre 2010, la Cour de cassation semble admettre la possibilité d’une ratification postérieure de l’acte, qui engagerait alors la société. Elle précise que cette ratification peut être expresse ou tacite. La société peut donc être tenue par un acte conclu en violation d’une délégation de pouvoirs si les juges considèrent qu’elle a ratifié tacitement cet acte.

b) La qualification de cette délégation

Les deux arrêts rendus par la Chambre Mixte le 19 novembre 2010 laissent entière la question relative à la nature juridique de la délégation. Les arrêts rendus par la Cour de cassation semblent affirmer que la délégation emprunte les règles du mandat.

Mais pour une partie de la doctrine, cette solution n’est pas pleinement convaincante au regard des conséquences distinctes qui y sont attachées. En effet, la délégation emporte transfert de la responsabilité pénale du délégant vers le délégataire, alors que le mandat n’opère aucun transfert de responsabilité.

Une partie de la doctrine retient une qualification alternative, celle d’acte unilatéral, moins encadrée par la loi. La Cour de cassation pourrait rattacher le caractère unilatéral de la délégation « aux pouvoirs les plus étendus » qui sont reconnus aux organes de représentation, ou à la souveraineté des assemblées. Cependant la loi ne donne aucune précision sur le régime d’une telle délégation, alors que le mandat bénéficie d’un régime développé dans le Code civil.

Conclusion


Aux termes de ces arrêts, la situation est désormais clarifiée quant aux personnes autres que le président qui peuvent efficacement représenter la société par actions simplifiée à l’égard des tiers :

  • le directeur général et/ou le directeur général délégué disposent d’un pouvoir de représentation général de la société à condition que cela soit prévu par les statuts et mentionné sur l’extrait K-bis : ils pourront donc engager la société dans tous les domaines, sans que les éventuelles limitations de pouvoirs statutaires soient opposables aux tiers.
  • un salarié de l’entreprise dûment habilité peut engager la société dans un domaine déterminé en vertu d’une délégation de pouvoirs conventionnelle. Si le délégataire a outrepassé ses pouvoirs, la société ne sera pas tenue par l’acte, sauf si elle l’a ratifié a posteriori, même tacitement.

 


1
Cass. Com. 2 juillet 2002, n° 98-23.324
2 Art. L.227-5 C. Com. : « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».
3  En ce sens, voir l’avis rendu par le CCRCS en date du 10 février 2009.
4  Cass. Com. 9 juillet 2013, n°12-22.627
5 Voir art. L.227-6 alinéa 2 du Code de commerce.
6 Voir par exemple CA Versailles, 5 novembre 2009, n° 08/00416 et CA Paris, 3 décembre 2009, n° 09/05422  
7 Cass. Ch. Mixte 19 novembre 2010, n°10-10.095 et n°10-30.215